Ce que je remarque en premier en consultation, c’est leurs regards. Il me dit beaucoup de chose ce regard. De la manière qu’ont les enfants de baisser les yeux ou de fixer un point imaginaire quand on aborde le mot « mort ». Chaque consultation est différente, mais une chose revient toujours : la vie d’un enfant ou d’un adolescent ne se remet jamais complètement d’une telle perte.

Dans le secret du cabinet, au fil des séances, je découvre un monde intérieur chamboulé, souvent invisible aux yeux de l’entourage. Perdre un parent, c’est perdre un pilier. Et quand ce pilier s’effondre alors que l’on est encore en train de construire les fondations de soi, les secousses peuvent être profondes, durables, et parfois silencieuses.

Une réalité bouleversée, des repères effondrés

La mort d’un parent ne suit pas le « cours naturel » de la vie pour un enfant. C’est une interruption brutale du récit familial. L’enfant perd non seulement un parent, mais aussi une routine, une sécurité affective, des habitudes rassurantes. Son monde, jusque-là relativement stable, se fissure. Il n’a pas toujours les mots, alors son corps, ses gestes ou ses silences parlent à sa place.

Beaucoup de jeunes patients me disent, avec des mots maladroits mais poignants :

« Plus rien ne sera comme avant. »

Et c’est vrai. Leur quotidien est bouleversé, parfois jusqu’au déménagement, au changement d’école, à la transformation du parent survivant, souvent lui-même dévasté par la douleur. L’enfant peut alors se sentir abandonné une seconde fois.

Ce qu’ils vivent… de l’intérieur

Ce que l’on oublie souvent, c’est que la façon dont l’enfant comprend la mort dépend de son âge et de son développement. C’est l’une des premières choses que j’essaie de cerner en séance. La compréhension évolue, se nuance, et les réactions émotionnelles aussi.

Chez l’enfant tout petit (0–6 ans)

À cet âge-là, l’enfant ne comprend pas que la mort est définitive. Pour lui, l’absence peut sembler temporaire, comme dans un jeu où le parent finit toujours par réapparaître. Il peut demander :

« Quand est-ce que papa revient ? » avec une sincérité désarmante.

Le concept d’irréversibilité est encore flou, et cette incompréhension crée parfois plus d’angoisse que de tristesse manifeste. Ce qu’il ressent, c’est d’abord le manque physique, la rupture soudaine d’un lien corporel et affectif essentiel.

Le deuil s’exprime souvent dans le corps : troubles du sommeil, refus de s’alimenter, irritabilité, pleurs fréquents, ou régressions comme le retour du langage bébé ou des accidents nocturnes. Il arrive que l’enfant se persuade, dans sa logique magique, qu’il a causé la mort : « C’est parce que j’ai été méchant que maman est morte. » Et si on ne le rassure pas clairement, cette croyance peut se figer en silence.

Je ne travaille pas directement avec les tout-petits, mais j’entends ces traces des années plus tard, chez les adolescents ou adultes qui se souviennent, confusément, de ce vide. Ce sont des douleurs qui ont grandi avec eux, souvent non verbalisées à l’époque, et qui méritent enfin d’être mises en mots, même longtemps après.

Chez l’enfant d’âge scolaire (7–12 ans)

Même si je ne travaille pas directement avec eux, je reçois souvent les échos de ce qu’ils ont vécu, bien plus tard. À cet âge, l’enfant commence à comprendre que la mort est définitive. Mais il garde parfois une forme de pensée magique :

« Si j’avais été plus sage, il ne serait peut-être pas mort. »

Certains s’inquiètent de la mort d’autres proches, développent des peurs irrationnelles, ou des comportements difficiles à la maison ou à l’école. Ils oscillent entre des moments d’apparente normalité et des vagues de tristesse. Cette oscillation est une stratégie de survie mentale : se protéger du trop plein émotionnel.

« Si je m’endors, est-ce que je vais mourir comme papa ? »
Cette question, posée par un enfant de 8 ans, illustre à quel point le lien entre mort et sommeil peut être source d’angoisse si les mots ne sont pas clairs.

Chez l’adolescent (13–18 ans)

L’adolescent comprend la mort comme un adulte, mais la vit avec un système émotionnel encore fragile. Certains vont masquer leur douleur, pour ne pas inquiéter leur entourage. D’autres se replient, deviennent sarcastiques, agressifs, ou prennent des risques inconsidérés.

L’adolescence est déjà un moment de recherche identitaire. Perdre un parent, c’est perdre un miroir, une source de validation. Cela peut créer un vide, un sentiment de rupture avec le monde :

« Je fais comme si tout allait bien, mais en vrai j’ai plus envie de rien. »

Mais même à cet âge-là, parfois bien au-delà, les effets d’un deuil vécu dans l’enfance continuent de résonner. Il n’est pas rare qu’un adolescent, ou même un jeune adulte, me parle d’une perte survenue à 5 ou 6 ans, avec cette impression de ne pas avoir eu le droit, ou les moyens, de vivre pleinement son chagrin.

Quand l’enfant devient le pilier

Ce qui me frappe souvent, c’est cette étrange inversion des rôles qui peut survenir après le décès d’un parent. J’ai vu des enfants faire preuve d’un calme saisissant, presque déroutant. Non pas parce qu’ils ne souffraient pas, mais parce qu’ils sentaient, intuitivement, que l’un de leurs parents était en train de sombrer. Ils devenaient, à leur manière, les piliers de la famille.

« J’ai essayé de ne pas pleurer devant maman, parce que je sais qu’elle a déjà assez mal. »

Certains se mettent à consoler leur mère en pleurs, à veiller sur leur petit frère, à préparer le petit déjeuner « comme papa le faisait ». Leur maturité émerge soudain, comme un réflexe de survie. C’est une force admirable, mais aussi un poids immense à porter. Ces enfants qu’on félicite pour leur courage sont parfois ceux qu’on oublie d’autoriser à s’effondrer.

Une palette d’émotions silencieuses… mais puissantes

Les enfants en deuil peuvent exprimer une vaste gamme d’émotions parfois contradictoires : tristesse, colère, culpabilité, peur, solitude. Certains n’expriment rien du tout – et ce silence est souvent interprété à tort comme une absence de chagrin.

« Pourquoi c’est lui qui est mort et pas quelqu’un de méchant ? »
Une phrase crue, mais lucide, que m’a confiée un adolescent. Elle traduit bien cette révolte face à l’injustice perçue de la perte.

J’ai vu des adolescents porter un masque de légèreté, faire rire tout le monde… et craquer, un jour, dans un couloir du lycée ou sur le banc d’une salle d’attente. La souffrance a ses chemins secrets.

Se reconstruire : une lente réinvention de soi

Le deuil précoce laisse des traces profondes. Il façonne l’identité, modifie la perception de la vie et de la mort. Certains jeunes développent une conscience aiguë de la fragilité de la vie, ce qui peut les pousser soit à se replier, soit à vivre « à toute vitesse ».

Parfois, le deuil devient une quête : comprendre ce qui s’est passé, ce que cela a changé en soi. D’autres cherchent à retrouver une forme de lien avec le parent disparu – par la mémoire, l’héritage symbolique, ou des gestes du quotidien.

Comment les accompagner ?

Ce que j’essaie de transmettre, aux parents comme aux proches, c’est que le chagrin de l’enfant mérite d’exister à part entière, sans être minimisé, corrigé ou censuré. Il faut oser dire les mots justes : « mort », « décès », « ne reviendra pas ». Éviter les métaphores floues. Il faut oser parler, même sans réponse à tout. Et surtout : rester à l’écoute, même longtemps après, même si les larmes ne coulent plus.

Créer des espaces symboliques (boîtes à souvenirs, rituels, lieux de mémoire) peut aider l’enfant à maintenir un lien intérieur avec la personne perdue. Et parfois, il faut accepter de ne pas savoir comment l’aider… et demander de l’aide.

En conclusion

La mort d’un parent bouleverse l’enfant dans ce qu’il a de plus fondamental : ses repères, son sentiment de sécurité, son histoire. Ce deuil se déploie par vagues, au fil des années, des étapes de développement, des souvenirs.

Dans ma pratique, j’accompagne les enfants à partir de 10 ans et les adolescents avec des outils thérapeutiques adaptés, notamment l’EMDR et l’hypnose. Mon approche est ludique, car je sais combien il peut être difficile de mettre des mots sur ce que l’on ressent à cet âge. J’utilise des cartes et des jeux thérapeutiques que j’ai moi-même conçus, pensés spécifiquement pour aider les jeunes à explorer ce qu’ils vivent de manière plus intuitive, plus légère, mais tout aussi en profondeur. Ces supports facilitent l’expression des émotions enfouies, et redonnent au jeune un espace de jeu symbolique, où la parole devient possible.

Ce n’est pas le chagrin qui abîme… c’est le silence autour de lui.

N’hésitez pas à télécharger mon ebook sur l’enfant en deuil d’un parent pour avoir plus d’éléments sur le sujet.